« Vincent qu’on assassine », roman

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Vincent qu’on assassine est paru aux éditions  Gallimard (collection l’Arpenteur), en avril dernier. Auto-interview pour les ateliers d’écriture Elisabeth Bing


 

De quoi parle ce roman ? 

Il retrace les deux dernières années de la vie de Vincent Van Gogh. En juillet 2014, je suis tombée sur la biographie de ce peintre par les historiens américains Naifeh et White Smith. Ils y démontrent que, contrairement à ce qu’on croit depuis cent vingt ans, Vincent Van Gogh ne s’est pas suicidé. Il a été assassiné. J’ai immédiatement eu une sorte de révélation : bien que la biographie ait rétabli la vérité, tout restait à écrire. Les faits étaient là, mais leur signification véritable manquait toujours : seul le roman, parce qu’il restitue la réalité dans ses dimensions factuelles, mais aussi sensorielles et émotionnelles, pouvait rendre compte de ce qui s’était passé à ce moment-là.
Je connaissais, bien sûr, l’extraordinaire correspondance de Vincent Van Gogh. Mais en avançant dans mes recherches, j’ai pris conscience du fait que ses lettres, bien souvent, ne reflétent qu’une dimension très partielle et très subjective de la réalité. Si on les met en relation avec d’autres points de vue, (d’autres lettres, par exemple, ou une simple chronologie) cela saute aux yeux. Là encore, le roman était la forme la plus appropriée pour faire vivre cela, parce qu’il fait coexister des subjectivités différentes, il donne à voir le monde dans sa complexité.

 

Le résultat de ce travail est-il un roman policier ? 

vangoghNon ! Certes, le roman retrace la mort de Vincent Van Gogh, mais il montre surtout l’effort du peintre pour faire aboutir son travail de création et pour faire exister sa peinture dans un monde qui le nie en tant qu’artiste.
J’ai été frappée de constater combien pour cet homme que nous considérons aujourd’hui comme un génie incontestable, la peinture était un combat, un effort, une conquête.  » Qu’est-ce que dessiner ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut.  » De nombreux passages du roman ont été écrits à partir des notations et des réflexions sur le fait de créer dont la correspondance de Vincent Van Gogh est émaillée.
Il y a là pour moi une continuité évidente avec mon livre Ecrire de la page blanche à la publication et le film Tu veux écrire réalisé par Jean-Luc Cesco. Même s’il est question de peinture et non plus d’écriture, la question de la création reste centrale.

 

Quelle est la part de fiction ? 

Elle est mince. Je n’ai pas d’imagination, d’une part. D’autre part, comme mon roman prétend rétablir une vérité par rapport à quelque chose qui serait de l’ordre du mythe,  – le suicide- j’étais tenue de respecter au maximum les données historiques. J’ai donc écrit à partir des documents dont je disposais.
J’ai travaillé dans la direction que Marguerite Yourcenar indique avoir empruntée pour écrire les Mémoires d’Hadrien : « J’ai tâché de reconstituer tout cela, à partir des documents, mais en m’efforçant de les revivifier ; tant qu’on ne fait pas entrer toute sa propre intensité dans un document, il est mort, quel qu’il soit. » Je disposais de la correspondance, des tableaux, de données biographiques : tout un matériau d’une fabuleuse richesse, que je me suis employée à vivifier de mon mieux.
Certains tableaux, par exemple les Tournesols, le Portrait du docteur Rey, ou encore la Berceuse, ont une histoire extraordinaire, que ce soit à cause de ce qui les génère, du moment où ils sont peints, ou à cause du destin des toiles. Ils sont en eux-mêmes riches d’un potentiel narratif immense. Il n’était pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit : mon objectif en tant qu’auteur était d’utiliser au mieux ce magnifique matériau d’écriture, d’en rendre compte avec la plus grande justesse possible.

 

Les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing